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Quand, comment et que dire à Dora ? Là était la question. C’est tôt dans la nuit du lendemain que nous fîmes le voyage pour La Nouvelle-Orléans.

Il n’y avait nulle trace de Louis dans l’hôtel particulier de la rue Royale, ce qui n’avait rien d’exceptionnel. Louis s’en allait de plus en plus souvent vagabonder, et David l’avait aperçu une fois à Paris en compagnie d’Armand. La maison était d’une propreté irréprochable, un rêve hors du temps, avec les meubles Louis XV que je préférais, son papier peint chargé et ses tapis les plus raffinés.

Bien sûr, David connaissait les lieux, bien qu’il n’y fût pas revenu depuis un an. L’une des nombreuses chambres à coucher, digne d’être représentée en peinture, envahie de soieries safran et de tables et de paravents turcs outrageusement voyants, contenait toujours le cercueil dans lequel il avait dormi durant son premier et bref séjour ici en tant que Non-Mort.

Bien entendu, ce cercueil était soigneusement camouflé. Il avait insisté pour qu’il s’agisse d’un vrai – comme les novices le font presque invariablement, à moins qu’ils ne soient nomades par nature – mais il était dissimulé de façon relativement astucieuse à l’intérieur d’une commode en bronze, que Louis avait choisie après coup, massif objet rectangulaire aussi décourageant qu’un piano droit, sans ouverture visible, bien que, naturellement, et à condition de connaître l’endroit exact où appuyer, le couvercle se soulevât immédiatement.

Comme je me l’étais promis, je m’étais aménagé mon lieu de repos à l’époque où j’avais restauré cette maison dans laquelle Claudia, Louis et moi avions jadis vécu. Pas dans mon ancienne chambre, qui n’abritait plus à présent que les traditionnels lit à colonnes et coiffeuse, mais dans le grenier, sous l’avant-toit, où j’avais fait une alcôve de métal et de marbre.

En somme, nous avions dès maintenant un point de chute confortable, et j’étais franchement soulagé que Louis ne soit pas là pour me faire part de son incrédulité lorsque je lui décrirais ce que j’avais vu. Son appartement était en ordre ; de nouveaux livres étaient venus s’ajouter. Un tableau de Matisse aux couleurs vives attira mon œil. Sinon, rien n’avait changé.

Sitôt que nous fûmes installés, après avoir vérifié toutes les sécurités comme les immortels le font toujours, d’un regard désinvolte mais néanmoins scrutateur et avec une grande réticence à devoir accomplir ce que faisaient aussi les mortels, nous décidâmes que je devais aller à Uptown pour essayer d’apercevoir Dora.

Je n’avais aperçu ni entendu le Fileur ; toutefois, peu de temps s’était écoulé, et je n’avais pas non plus revu l’Homme Ordinaire.

David et moi étions d’accord sur le fait que l’un ou l’autre risquait de surgir à tout moment.

Néanmoins, je partis sans David, le laissant explorer la ville à son gré.

Avant de quitter le Quartier français pour me rendre à Uptown, j’allai voir mon chien, Mojo. Si vous ne connaissez pas Mojo du Voleur de corps, je vais juste vous expliquer ce que vous avez besoin de savoir : c’est un énorme berger allemand, gardé par une charmante mortelle dans un immeuble qui m’appartient ; Mojo m’adore, ce que je trouve irrésistible. C’est un chien, tout simplement, sauf qu’il est immense, avec une fourrure extrêmement épaisse, et que je ne peux rester longtemps loin de lui.

Je passai une heure ou deux en sa compagnie, à lutter et à me rouler avec lui sur la terre du jardinet de derrière, à lui raconter tout ce qui s’était passé, puis à délibérer si je l’emmenais ou non avec moi. Sa gueule, longue et noire, pareille à celle d’un loup et apparemment effrayante, reflétait sa douceur et son indulgence coutumières. Seigneur, pourquoi ne pas nous avoir tous créés chiens ?

En fait, Mojo suscitait en moi un sentiment de quiétude. Si le Diable arrivait pendant que j’étais avec Mojo… Voilà bien l’idée la plus absurde qui soit ! J’allais parer à l’Enfer grâce à un chien de chair et de sang. Eh bien ! les humains avaient des croyances fort saugrenues, supposais-je.

Juste avant de quitter David, je lui avais demandé :

— Que pensez-vous de ces événements, je veux dire le Fileur et l’Homme Ordinaire ?

Et il m’avait répondu, sans la moindre hésitation :

— Ils sont tous les deux le fruit de votre imagination, vous vous punissez impitoyablement ; c’est le seul moyen dont vous disposez pour continuer à vous amuser.

J’aurais dû en être offensé. Il n’en fut rien.

Dora était réelle.

Je décidai finalement de prendre congé de Mojo. J’allais épier Dora. Et devais être libre de mes mouvements. J’embrassai Mojo et le laissai. Plus tard, nous irions nous promener dans nos terrains vagues favoris, sous le pont du fleuve, parmi les herbes et les détritus, et nous serions ensemble. Ces moments-là, j’en profiterais aussi longtemps que la nature me le permettrait. Pour l’instant, cela pouvait attendre.

Revenons à Dora.

Bien sûr, Dora ignorait que Roger était mort. Il était impossible qu’elle fût au courant, à moins – peut-être – que Roger ne lui soit apparu.

Mais à en juger par le comportement de Roger, je ne crois même pas qu’une telle chose ait été réalisable. Son intervention auprès de moi avait apparemment épuisé toute son énergie. En outre, il s’était montré beaucoup trop protecteur envers Dora pour venir la hanter, délibérément ou dans un but pratique.

Mais que savais-je des fantômes ? Excepté quelques apparitions, purement mécaniques et indifférentes, je n’avais jamais parlé à aucun d’eux jusqu’à ma rencontre avec Roger.

Désormais, je garderais en moi l’empreinte indélébile de son amour pour Dora, et son curieux mélange de lucidité et de suprême assurance. Rétrospectivement, sa visite même me semblait la preuve d’un aplomb incroyable. Qu’il ait eu la capacité de hanter autrui n’avait rien d’improbable, dans la mesure où le monde était plein d’histoires de revenants, impressionnantes et crédibles. Mais qu’il soit parvenu à me retenir au fil de sa conversation – et à faire de moi son confident – impliquait véritablement un orgueil énorme et presque aveuglant.

Je me dirigeai vers Uptown à la manière d’un mortel, humant l’air du fleuve, et heureux d’être de retour auprès de mes chênes à l’écorce noire et des maisons faiblement éclairées qui s’étendaient un peu partout dans La Nouvelle-Orléans, là où poussaient l’herbe, la vigne et les fleurs. J’étais chez moi.

J’atteignis trop vite le vieux couvent en brique de Napoléon Avenue où logeait Dora. Napoléon Avenue est une assez belle artère, même pour cette ville, dotée d’un terre-plein central excessivement large où passaient jadis les tramways. Aujourd’hui, elle est plantée de grands arbres qui prodiguent une ombre généreuse, identiques à ceux entourant le couvent juste en face.

C’étaient les profondeurs feuillues de la partie victorienne de Uptown.

Je m’approchai lentement du bâtiment, impatient de graver ses détails dans ma mémoire. Comme j’avais changé depuis la dernière fois où j’avais espionné Dora !

Le couvent était de style Second Empire, avec des combles mansardés qui recouvraient la partie médiane de l’édifice et ses deux longues ailes. De vieilles tuiles étaient tombées ici et là du toit pentu, ce qui, étant concave en son milieu, lui donnait un aspect très inhabituel. Le briquetage, les arches des fenêtres, les quatre tourelles aux angles, le porche de la maison de planteur de deux étages – avec ses colonnes blanches et ses balustrades en fer forgé – situé sur la façade du bâtiment principal, tout cela, harmonieusement proportionné, apportait de plus une touche italianisante à l’architecture locale. De très anciennes gouttières de cuivre pendaient de la base des toits. Il n’y avait pas de volets, mais il y en avait sûrement eu autrefois.

Les fenêtres étaient nombreuses, hautes, dotées d’une voûte arrondie aux deuxième et troisième étages, et bordées d’une peinture blanche défraîchie.

Un grand jardin clairsemé, donnant sur l’avenue, s’étendait sur le devant, et je connaissais déjà l’immense cour intérieure. Le bloc entier était dominé par ce petit univers dans lequel nonnes et orphelines, jeunes filles de tous âges, avaient jadis résidé. Des chênes imposants s’alignaient sur les trottoirs. Une rangée de très vieux myrtes bordait la contre-allée en direction du sud.

Tout en contournant le bâtiment, je promenai mon regard sur les grands vitraux des deux étages de la chapelle et remarquai une lueur vacillante à l’intérieur, comme si le saint sacrement était présent – ce dont je doutais – puis, arrivé à l’arrière, je sautai par-dessus le mur.

Quelques rares portes étaient verrouillées. Le silence régnait dans ces lieux, et, dans la douceur de l’hiver pourtant réel de La Nouvelle-Orléans, le froid y était bien plus vif qu’au-dehors.

Je me glissai prudemment dans le corridor, et je me mis immédiatement à aimer les proportions de la demeure, la hauteur et la largeur de ses couloirs, l’odeur forte de ses murs de brique récemment dénudés, et l’agréable senteur boisée du parquet en pin jauni. Ici, tout était à l’état brut, avec ce genre de dépouillement très en vogue parmi les artistes des grandes villes qui vivent dans de vieux entrepôts qu’ils appellent lofts.

Mais cet endroit n’était pas un entrepôt. Cela avait été jadis une habitation, et même une habitation sanctifiée. D’emblée, je m’en étais rendu compte. Je parcourus à pas lents le long corridor menant aux escaliers de l’aile nord-est. Un peu plus loin sur ma droite vivait Dora, dans la tourelle nord-est de l’édifice, ses appartements ne commençant qu’au troisième étage.

Je ne percevais aucune présence en ces lieux. Ni odeur ni bruit de Dora. J’entendais les rats, les insectes, un animal un peu plus gros qu’un rat, probablement un raton laveur en train de se nourrir là-haut dans le grenier, et je sentais aussi les élémentaux, comme disait David – ces phénomènes que je préférais quant à moi appeler esprits.

Je demeurai immobile, les yeux clos. J’écoutais. Il me semblait que le silence renvoyait de lointaines émanations d’individus, bien trop faibles et enchevêtrées toutefois pour que mon cœur en soit touché ou pour qu’elles fassent jaillir une pensée en moi. Oui, il y avait des fantômes ici et là… Mais aucun tumulte spirituel, pas de tragédie mystérieuse ni d’injustice féroce. Au contraire, tout ici n’était que calme et constance.

L’édifice avait gardé toute son âme.

Je crois que ces lieux s’étaient plu à retrouver leur dépouillement du XIXe siècle ; même les poutres des plafonds, aujourd’hui apparentes, qui n’avaient pourtant jamais été conçues pour être exposées, étaient belles sans leur couche de plâtre, avec leur bois sombre, massif et uni, parce qu’en ces temps-là, tous les travaux de charpente étaient minutieusement exécutés.

L’escalier était d’origine. J’en avais monté plus de mille construits de la sorte à La Nouvelle-Orléans. Cet édifice en comptait au moins cinq. Je connaissais la légère cambrure de chaque marche, usée par les pieds des enfants, et le contact soyeux de la rampe que l’on avait inlassablement cirée au cours du siècle écoulé. Je connaissais le palier qui donnait directement sur une fenêtre extérieure, ignorant la forme et l’existence même de cette fenêtre, et qui divisait en deux la lumière provenant de la rue.

Parvenu au deuxième étage, je réalisai que je me trouvais à l’entrée de la chapelle. Elle ne m’avait pas semblé si vaste, vue du dehors.

Elle était en fait aussi grande que nombre d’églises que j’avais visitées étant jeune. Une vingtaine de bancs étaient disposés en rangées de part et d’autre de son aile principale. Le plafond en plâtre était voûté et orné de diverses moulures. De vieux médaillons restaient encore solidement accrochés au plâtre où, très certainement, des lustres à gaz avaient été jadis suspendus. Les vitraux, bien que dépourvus de personnages, étaient néanmoins délicatement réalisés, comme je pus aisément le découvrir à la lueur du réverbère. Et les noms des saints patrons étaient joliment gravés au bas des carreaux de chacune des fenêtres. Le sanctuaire n’était éclairé que par des cierges alignés devant une Vierge Reine, qui portait une couronne.

L’endroit devait être tel que les sœurs l’avait laissé lorsque le bâtiment avait été vendu. Même le bénitier subsistait, bien qu’aucun ange gigantesque ne fût là pour le tenir. C’était une simple vasque de marbre posée sur une colonne.

En entrant, j’étais passé sous la galerie du chœur, quelque peu surpris par la pureté et la symétrie de la construction. Quel effet cela faisait-il d’habiter dans une maison dotée de sa propre chapelle ? Deux cents ans auparavant, je m’étais agenouillé plus d’une fois dans celle de mon père. Mais ce n’était dans notre château qu’une minuscule pièce aux murs de pierre ; et cette salle si vaste, avec ses vieux ventilateurs oscillatoires électriques qui brassaient l’air en été, ne semblait pas moins authentique que ne l’avait été la petite chapelle familiale.

Celle-là était davantage une chapelle de rois, et le couvent tout entier me parut soudain un palais, plutôt qu’une institution charitable. Je m’imaginais vivant ici, non pas comme Dora l’aurait approuvé, mais dans la splendeur, avec des kilomètres de parquets cirés qui se dérouleraient sous mes pas tandis que je traverserais chaque nuit cet immense sanctuaire pour dire mes prières.

J’aimais cet endroit. Il m’enflammait l’esprit. Achetez un couvent, faites-en un palais, vivez dans sa grandeur et sa quiétude, dans un quartier oublié d’une métropole moderne ! J’étais plein de convoitise, ou, plus exactement, mon respect pour Dora s’en trouvait approfondi.

D’innombrables Européens résidaient encore dans ce genre d’édifices à plusieurs étages, dont les ailes se faisaient face au-dessus de splendides cours intérieures. Paris recelait sûrement quantité de ces demeures. Mais en Amérique, la perspective d’habiter ici dans un tel luxe était comme un beau rêve.

Or, ce n’était pas ce à quoi aspirait Dora. Elle désirait y faire l’éducation de ses femmes, de ses prédicatrices, qui iraient porter la parole de Dieu avec la fougue de saint François ou de Bonaventure.

Toutefois, si sa foi se trouvait soudain balayée par le décès de son père, elle pourrait vivre ici dans la magnificence.

Mais moi, quel pouvoir avais-je de toucher au rêve de Dora ? Ses souhaits seraient-ils exaucés si je faisais en sorte qu’elle accepte son immense fortune et qu’elle devienne une princesse en ce royaume ? Un seul être humain heureux, sauvé de la misère que la religion peut si aisément engendrer ?

Ce n’était pas une idée totalement indigne. Mais elle était typique de moi. Penser en termes de Paradis sur Terre, fraîchement repeint de couleurs pastel, au sol recouvert d’un joli carrelage et pourvu du chauffage central.

C’est abominable, Lestat.

Qui étais-je pour concevoir de telles choses ? Voyons, nous pourrions vivre ici comme la Belle et la Bête, Dora et moi. Je me mis à rire tout fort. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale, sans que j’aie entendu le moindre bruit de pas.

Je me sentis soudain très seul. Je tendis l’oreille, sur le qui-vive.

— Ne vous avisez pas d’approcher maintenant, chuchotai-je au Fileur, qui n’était pas là, pour autant que je sache. Je suis dans une chapelle. En sécurité ! Comme dans une cathédrale.

Je me demandai alors si le Fileur se moquait de moi. Lestat, toute cette histoire est le fruit de ton imagination.

Tant pis. Remonte l’allée centrale de marbre en direction du balustre de chœur. Effectivement, celui-ci subsistait encore. Regarde ce qu’il y a devant toi, et cesse de penser.

La voix pressante de Roger était à l’orée de ma mémoire. Mais j’aimais déjà Dora, n’est-ce pas ? J’étais là. J’allais agir. Simplement, je prenais mon temps.

Le bruit de mes pas résonnait dans la chapelle. C’était sans importance. Les petits bas-reliefs en plâtre représentant les stations du chemin de croix étaient restés accrochés entre les vitraux, selon le traditionnel parcours à l’intérieur des églises, et l’autel avait disparu de sa profonde niche voûtée ; à sa place, je vis un gigantesque Christ en croix.

Les crucifix m’ont toujours fasciné. Leurs nombreux détails peuvent être rendus de mille et une manières, et les œuvres traitant de la crucifixion de Jésus remplissent à elles seules la plupart des musées du monde, tout comme ces cathédrales et ces basiliques transformées en musées. Celui-ci pourtant, même pour moi, était très impressionnant. Il était gigantesque, ancien, très réaliste dans le style fin XIXe siècle ; le pagne du Christ s’enroulait dans le vent, et son visage hâve exprimait une souffrance infinie.

C’était sûrement l’une des trouvailles de Roger. Tout d’abord, il était trop grand pour la niche de l’autel, et la qualité de son exécution était impressionnante, tandis qu’ici et là, les saints de plâtre encore sur leur piédestal – l’inévitable et jolie sainte Thérèse de Lisieux dans sa robe de carmélite, avec sa croix et son bouquet de roses ; saint Joseph et son lis ; et même la Vierge Reine, avec sa couronne et son autel – étaient toutes des pièces plus ou moins banales. Elles étaient grandeur nature, et minutieusement peintes ; mais ce n’étaient pas des chefs-d’œuvre.

Le Christ sur sa croix donnait envie d’adopter une sorte de détermination. Par exemple, « j’exècre le christianisme et son côté sanglant », ou inspirait quelque sentiment plus douloureux, remontant peut-être à nos jeunes années, lorsqu’on passait son temps à imaginer ses propres mains transpercées par ces clous-là. Le carême. La méditation. L’église. La voix du curé entonnant le Notre Père.

Je ressentais à la fois l’aversion et la douleur. Tandis que j’errais dans la pénombre, regardant au-dehors les lumières vaciller à travers les vitraux, des souvenirs d’enfance, que je ne cherchais toutefois pas à chasser, me revenaient en mémoire. Je me mis alors à penser à l’amour que vouait Roger à sa fille, et les souvenirs ne furent plus rien, seul comptait cet amour. Je montai les marches qui conduisaient jadis à l’autel et au tabernacle. Là, je tendis la main vers le pied de l’homme sur la croix. Du bois ancien. Le lointain murmure des cantiques. Levant les yeux vers lui, je vis un visage non pas en proie au supplice, mais reflétant la sagesse et le calme, peut-être dans les dernières secondes qui précèdent la mort.

Un grand bruit retentit quelque part dans le bâtiment. Je reculai presque trop précipitamment, perdis bêtement l’équilibre et me retrouvai face à l’église. Quelqu’un bougeait dans le bâtiment, marchant à une allure modérée à l’étage inférieur et s’apprêtant à monter l’escalier que j’avais moi-même emprunté pour arriver à la porte de la chapelle.

Je me dirigeai en toute hâte vers le vestibule. Je ne perçus aucune voix et ne détectai aucune odeur ! Rien. Mon cœur se serra. « Je n’en accepterai pas davantage », dis-je alors dans un chuchotement. Je tremblais déjà. Mais certaines odeurs humaines ne nous parviennent pas si facilement. Il faut tenir compte de la brise, ou plutôt des courants d’air, très nombreux en ces lieux.

La personne montait les marches.

Je m’adossai à la porte de la chapelle de façon à la voir tourner à l’angle du palier. Et, si c’était Dora, j’irais immédiatement me cacher.

Mais ce n’était pas Dora, et l’individu montait si vite à ma rencontre, de son pas rapide et léger, que je réalisai de qui il s’agissait au moment même où il s’arrêtait devant moi.

L’Homme Ordinaire.

Je restai pétrifié à le dévisager. Pas tout à fait ma taille ; ni ma carrure ; normal en tous points de vue, comme dans mon souvenir. Inodore ? Non, mais l’odeur était faussée. Elle était mêlée à celle du sang, de la sueur et du sel, et j’entendais un léger battement de cœur…

— Ne vous inquiétez pas, dit-il, sur un ton plein de courtoisie et de diplomatie. Je délibère. Dois-je vous faire ma proposition maintenant, ou avant que vous ne mêliez Dora à tout ça ? Je ne sais pas ce qui est le mieux.

À présent, il était à un mètre de moi.

Je m’appuyai négligemment contre le chambranle de la porte et croisai les bras avec arrogance. La chapelle et ses lueurs, vacillantes était, derrière moi. Avais-je l’air effrayé ? Étais-je effrayé ? Étais-je sur le point de mourir de peur ?

— Allez-vous me dire qui vous êtes et ce que vous voulez, ou suis-je censé poser les questions et vous arracher les réponses ?

— Vous savez qui je suis, fit-il sur ce même ton empreint de réserve et de simplicité.

Je fus frappé des proportions de sa silhouette et de son visage. C’est cela qui était marquant, leur régularité même. C’était un homme générique.

Il sourit.

— Exactement. C’est la forme que je préfère, de tout temps et en tout lieu, parce qu’elle n’attire guère l’attention. (Sa voix avait retrouvé toute sa cordialité.) Dès que je circule avec mes ailes noires et mes pieds fourchus, les humains en sont instantanément terrassés.

— Je veux que vous fichiez le camp d’ici avant que Dora n’arrive ! (Je postillonnais comme un fou.)

Il se retourna, se tapa sur la cuisse et éclata de rire.

— Vous êtes un gamin, Lestat, déclara-t-il de sa voix parfaitement neutre. Vos cohortes ont raison. Vous ne pouvez pas me donner des ordres.

— J’aimerais bien savoir pourquoi. Et si je vous jetais dehors ?

— Vous voulez essayer ? Dois-je prendre mon autre forme ? Et laisser mes ailes…

J’entendis le brouhaha des voix et ma vision commença à se brouiller.

— Non ! hurlai-je.

— Très bien.

La métamorphose s’interrompit. La poussière retomba. Mon cœur cognait dans ma poitrine comme s’il voulait s’en échapper.

— Je vais vous expliquer ce que je vais faire, reprit-il. Je vais vous laisser traiter vos affaires avec Dora, puisque, apparemment, c’est une obsession. Et je n’aurai pas la possibilité de vous en détourner. Quand vous en aurez terminé avec toute cette histoire, la fille, ses rêves et tout ça, alors nous pourrons discuter, vous et moi.

— À propos de quoi ?

— De votre âme, quoi d’autre ?

— Je suis prêt à aller en Enfer, fis-je mensongèrement entre mes dents. Mais je ne pense pas que vous soyez ce que vous prétendez. Vous êtes quelque chose, un être comme moi, pour lequel il n’existe aucune explication scientifique, mais derrière tout cela, il se trouve un petit ensemble de faits qui finiront bien par tout mettre à nu, jusqu’à la texture de chacune des plumes noires de vos ailes.

Il fronça légèrement les sourcils, mais il n’était pas en colère.

— Nous n’allons pas continuer comme ça, dit-il. Je vous le garantis. Toutefois, pour l’instant, je vous laisse penser à Dora. Elle arrive. Elle est en train de garer sa voiture dans la cour. Je m’en vais, à pas mesurés, comme je suis venu. Et je vous donne un conseil, dans notre intérêt à tous les deux.

— Et quel est-il ?

Il me tourna le dos et commença à descendre, avec autant de vivacité qu’il était monté. Ce n’est qu’après avoir atteint le palier qu’il leva les yeux vers moi. J’avais déjà capté l’odeur de Dora.

— Quel conseil ? répétai-je.

— Laissez Dora tranquille. Confiez ses affaires aux notaires de ce bas monde. Quittez cet endroit. Nous avons des questions plus importantes à régler. Tout cela sème par trop la perturbation.

Puis il s’en fut, dévalant bruyamment les étages inférieurs, et sortit vraisemblablement par une porte latérale, que j’entendis s’ouvrir et se refermer.

Puis, quasiment sur ses talons, Dora franchit le seuil de l’entrée de derrière, au centre du bâtiment, comme je l’avais moi-même fait, et lui aussi. Elle s’avança dans le corridor.

Elle chantait à haute voix, ou plutôt elle fredonnait. Il émanait d’elle l’arôme suave du sang de ses entrailles. Ses règles. Il amplifiait, à me rendre fou, le succulent parfum que dégageait le corps de cette enfant qui venait vers moi.

Je me glissai à nouveau dans les ombres du vestibule. Ainsi, elle ne risquait pas de me voir ou de sentir ma présence en passant près de moi pour monter à sa chambre du troisième étage.

Elle grimpa en sautillant les dernières marches du second. Elle avait une sorte de baluchon jeté par-dessus son épaule et portait une jolie robe en coton à fleurs, ample et démodée, avec des manches longues bordées de dentelle.

Au moment de pivoter pour poursuivre son ascension, elle s’arrêta net. Elle se tourna dans ma direction. Je me raidis. Il était impossible qu’elle m’ait vu dans cette pénombre.

Puis elle se dirigea vers moi. Elle tendit le bras. Ses doigts blancs effleurèrent un endroit du mur ; c’était un interrupteur. Un simple petit bouton en plastique, qui fit soudain jaillir un flot de lumière de l’ampoule au-dessus.

Imaginez la scène : l’intrus blond, les yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil violettes, à présent frais et pimpant, débarrassé des taches de sang du père, vêtu d’un pardessus en laine et d’un pantalon noirs.

Je levai les mains comme pour dire « Je ne vous ferai pas de mal ! ». J’étais sans voix.

Je disparus.

Plus exactement, je passai devant elle à une rapidité telle qu’elle ne se rendit compte de rien. Je la frôlai, pareil à un courant d’air. C’est tout. Je franchis deux volées de marches menant à un grenier, puis je passai une porte ouverte et me retrouvai dans un lieu obscur au-dessus de la chapelle où seules quelques fenêtres de la mansarde laissaient filtrer le faible rai de lumière provenant de la rue. L’une des vitres était cassée. Une voie rapide pour s’enfuir. Mais je m’arrêtai. Je m’assis dans un coin, complètement immobile. Je m’y recroquevillai. Je ramenai mes genoux sous mon menton, baissai mes lunettes sur mon nez et parcourus du regard l’étendue du grenier jusqu’à la porte par laquelle j’étais entré.

Je n’entendais pas de cris. Du reste, je n’entendais rien du tout. Elle n’était pas devenue hystérique ; elle ne courait pas comme une folle dans tout le bâtiment. Elle n’avait pas déclenché d’alarme. Intrépide, sereine, elle avait vu un intrus. Car enfin, en dehors d’un vampire, qu’y a-t-il de plus dangereux au monde pour une femme seule qu’un jeune mâle ?

Je m’aperçus que je claquais des dents. Je serrai le poing droit et l’enfouis dans la paume de ma main gauche. Démon, homme, qui êtes-vous donc, à m’attendre, à m’interdire de lui parler, à quoi ça rime, ne lui parlez pas, de toute façon, je n’avais pas l’intention de lui parler, Roger, merde, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je ne voulais pas qu’elle me voie comme ça !

Je n’aurais jamais, jamais dû venir sans David. J’avais besoin d’un témoin objectif. Et l’Homme Ordinaire, aurait-il osé se montrer si David avait été là ? Je l’exécrais ! J’étais dans un tourbillon. Je n’y survivrais pas.

Ce qui signifiait quoi ? Qu’est-ce qui allait me tuer ?

Je réalisai tout à coup qu’elle montait l’escalier. Cette fois, elle marchait lentement, et très silencieusement. Un mortel n’aurait pu l’entendre. Elle avait sa torche à la main. Je ne l’avais pas remarquée jusqu’ici. Toujours est-il qu’elle l’avait, et son faisceau traversa le seuil de la porte du grenier pour courir le long des planches sombres du toit incliné.

Elle s’avança dans la pièce et éteignit la torche. Elle regarda très prudemment autour d’elle, ses yeux s’emplissant de la lumière blanche qui filtrait par les fenêtres arrondies. C’était précisément grâce à ces fenêtres et à la proximité des réverbères que l’on pouvait distinguer très nettement les choses.

C’est alors qu’elle me vit. Elle braqua son regard sur le petit coin où j’étais.

— Pourquoi avez-vous peur ? demanda-t-elle. Sa voix était apaisante.

Je me rendis compte que j’étais coincé dans ma petite niche, genoux au menton, mes bras enserrant mes jambes croisées, les yeux levés vers elle.

— Je… je suis désolé…, répondis-je. Je craignais… de vous avoir effrayée. J’ai eu honte de vous avoir mise dans l’angoisse. J’ai l’impression d’avoir été d’une maladresse impardonnable.

Elle s’approcha de moi, sans aucune hésitation. Son odeur se répandait lentement dans le grenier, pareille à la fumée de l’encens que l’on brûle.

Elle paraissait grande et souple dans sa robe à fleurs aux poignets en dentelle. Ses cheveux noirs et courts formaient une sorte de petit bonnet, et ses boucles tombaient le long de ses joues. Ses yeux, grands et sombres, me firent penser à Roger.

Son regard n’était rien moins qu’impressionnant ; il aurait suffi à décontenancer un prédateur. La lumière frappait ses pommettes et sa bouche semblait sereine et dénuée de toute émotion.

— Je peux partir dès maintenant si vous le souhaitez, dis-je d’une voix mal assurée. Je n’ai qu’à me relever très lentement et m’en aller sans vous faire de mal. Je le jure. Soyez sans crainte.

— Pourquoi vous ? demanda-t-elle.

Je ne comprends pas votre question, répondis-je. (Étais-je en train de pleurer ? M’étais-je simplement mis à frissonner et à trembler ?) Que voulez-vous dire, pourquoi moi ?

Elle s’avança plus près encore et baissa les yeux sur moi. Je la distinguais parfaitement.

Peut-être avait-elle vu ma crinière blonde, le reflet de la lumière dans mes lunettes et mon apparence de jeune homme.

Je remarquai ses cils noirs et recourbés, son menton, petit mais ferme, et la courbe tombante de ses épaules sous les fleurs et les dentelles de sa robe, au point qu’elle semblait presque ne pas avoir d’épaules – jeune fille à la longue silhouette adolescente, femme de rêve d’une blancheur de lis. Lorsqu’on la prenait dans ses bras, sa taille, minuscule sous le tissu ample de sa robe sans ceinture, devait paraître d’une incroyable finesse.

Elle me donnait presque la chair de poule. Il n’émanait d’elle ni froideur ni méchanceté, mais elle n’en était pas moins effrayante. Était-ce cela la sainteté ? Je me demandai si j’avais jamais été en présence d’un authentique saint. Car j’avais bel et bien ma propre définition de ce mot-là.

— Pourquoi est-ce vous qui êtes venu me le dire ? demanda-t-elle tendrement.

— Vous dire quoi, chère petite ?

— Au sujet de Roger. Qu’il est mort. (Elle haussa légèrement les sourcils.) C’est pour cette raison que vous êtes venu, n’est-ce pas ? Je l’ai compris sitôt que je vous ai vu. J’ai su que Roger était mort. Mais pourquoi est-ce vous ?

Elle s’agenouilla en face de moi.

J’émis un long gémissement. Ainsi, elle l’avait lu dans ma pensée ! Mon grand secret. Ma grande décision. Lui parler ? La raisonner ? L’espionner ? La mystifier ? Lui donner des recommandations ? Et mon esprit lui avait jeté la bonne nouvelle à la figure : Salut, chérie, Roger est mort !

Elle s’approcha tout près de moi. Beaucoup trop près. Elle ne devait pas. Dans un instant, elle allait hurler. Elle leva sa torche éteinte.

— Ne l’allumez pas, dis-je.

— Pourquoi m’en empêchez-vous ? Je ne la braquerai pas sur votre visage, c’est promis. Je veux juste vous voir.

— Non.

— Écoutez, vous ne me faites pas peur, si c’est ce que vous croyez, dit-elle simplement, sans emphase, tandis que ses pensées affolées tourbillonnaient sous ses paroles et qu’elle s’imprégnait de chaque détail.

— Et pourquoi ?

— Parce que Dieu ne permettrait pas que quelque chose comme vous me fasse du mal. Je le sais. Vous êtes un démon ou un esprit malin. Vous êtes un esprit du bien. Je ne sais pas. Je ne peux pas savoir. Si je fais le signe de croix, il se peut que vous disparaissiez. Mais ça m’étonnerait. Ce que je veux, c’est que vous m’expliquiez pourquoi je vous effraie autant ? Ce n’est sûrement pas la vertu, si ?

— Attendez une seconde, revenons en arrière. Vous voulez dire que vous savez que je ne suis pas humain ?

— Oui. Je le vois. Je le sens ! J’ai déjà rencontré des êtres comme vous. Je les ai vus en bandes dans les grandes villes, comme ça, fugitivement. J’ai vu beaucoup de choses. Je ne vais pas dire que je vous plains, ce serait complètement stupide, mais je n’ai pas peur de vous. Vous ne pouvez quitter le monde des vivants, n’est-ce pas ?

— Absolument. Et j’espère bien y rester indéfiniment. Écoutez, je ne voulais pas vous choquer avec cette nouvelle. J’adorais votre père.

— Vraiment ?

— Oui. Et… il vous aimait énormément. Il m’a chargé de vous dire certaines choses. Mais surtout, il voulait que je veille sur vous.

— Vous n’en semblez guère capable. Vous avez l’air d’un elfe apeuré. Regardez-vous.

— Ce n’est pas vous qui m’épouvantez, Dora ! dis-je avec une soudaine impatience. Je ne comprends pas ce qui se passe ! Je ne peux pas quitter le monde des vivants, oui, c’est la vérité. Et je… Et j’ai tué votre père. Je lui ai pris la vie. C’est moi qui lui ai fait ça. Et il m’a parlé après coup. Il a dit, « Occupez-vous de Dora ». Il est venu me voir et m’a demandé de veiller sur vous. Voilà. Mais ce n’est pas vous qui me terrifiez. C’est plutôt la situation, je ne me suis jamais trouvé dans pareilles circonstances, je n’ai jamais été confronté à de telles questions !

— Je vois !

Elle était abasourdie. Son visage si blanc luisait, comme inondé de sueur. Son cœur battait à tout rompre. Elle baissa la tête. Ses pensées étaient indéchiffrables. Il m’était totalement impossible de les lire. Mais elle était accablée de chagrin, cela, chacun aurait pu le constater, et les larmes coulaient le long de ses joues. C’était intolérable.

— Oh ! Seigneur, je préférerais être en enfer, marmonnai-je. Je n’aurais pas dû le tuer. Je… je l’ai fait pour une raison si simple. Il a juste… il a croisé mon chemin. C’est une erreur effroyable. Mais ensuite, il est venu me voir. Dora, nous avons passé des heures à discuter, son fantôme et moi. Il m’a tout raconté à votre sujet, et au sujet des reliques et de Wynken.

— Wynken ? (Elle me regarda.)

— Oui, Wynken de Wilde, vous savez, les douze livres. Dora, écoutez, si je vous touchais la main, juste pour essayer de vous réconforter, peut-être que cela marcherait. Mais je ne veux pas que vous vous mettiez à crier.

— Pourquoi avez-vous tué mon père ? demanda-t-elle.

Pourtant, sa question était lourde de signification. En réalité, elle m’avait demandé : « Pourquoi quelqu’un qui s’exprime comme vous a-t-il commis un tel acte ? »

— Je voulais son sang. Je bois le sang d’autrui. C’est comme cela que je reste jeune et vivant. Vous croyez aux anges ? Alors croyez aux vampires. Croyez en moi. Il existe des choses bien pires sur terre.

Elle était stupéfaite, à juste titre.

— Nosferatu, dis-je doucement. Verdilak. Vampire. Lamie. Immortel. (Je haussai les épaules, puis hochai la tête. Je me sentais totalement impuissant.) Il existe d’autres espèces. Mais Roger, Roger est revenu, avec son âme et en tant que fantôme, pour me parler de vous.

Elle se mit à trembler et à pleurer. Ce n’était pas de la démence. Ses yeux étaient rétrécis par les larmes et son visage fripé par le chagrin.

— Dora, pour rien au monde je ne vous ferai de mal, je le jure. Je ne vous ferai aucun mal…

— Mon père est vraiment mort, n’est-ce pas ? (Soudain, elle s’effondra complètement, la tête dans ses mains, ses frêles épaules agitées de sanglots.) Mon Dieu, aidez-moi ! murmura-t-elle. Roger, cria-t-elle. Roger !

Elle fit effectivement le signe de croix, et elle resta assise là, sanglotant et étrangère à la peur.

J’attendis. Ses larmes et sa peine se nourrissaient l’une l’autre. Elle était de plus en plus malheureuse. Elle se pencha en avant et s’écroula contre les planches. Là encore, elle n’avait pas peur de moi. C’était comme si je n’étais pas là.

Très lentement, je me glissai hors de mon petit coin. Il était possible de se tenir facilement debout dans ce grenier, une fois sorti de cette niche. Je la contournai, puis, tout doucement, je tendis le bras pour la prendre par les épaules.

Elle se laissa faire ; elle pleurait à chaudes larmes, et sa tête roulait d’un côté à l’autre, comme si elle était ivre de tristesse. Ses mains s’agitaient, mais uniquement pour attraper des choses invisibles.

— Seigneur, Seigneur, Seigneur, cria-t-elle. Seigneur… Roger !

Je la relevai. Elle était aussi légère que je me l’étais imaginé, quoique, de toute manière, ces considérations-là n’aient plus d’importance pour un être doté de ma force. Je l’emmenai hors du grenier. Elle tomba contre ma poitrine.

— Je le savais, je le savais lorsqu’il m’a embrassée, dit-elle à travers ses sanglots. Je savais que plus jamais je ne poserais mes yeux sur lui. Je le savais…

C’était à peine intelligible. Elle paraissait si fragile, si délicate, je devais faire extrêmement attention, et, lorsque sa tête se renversa en arrière, son visage était si blême et si désemparé que le diable lui-même en aurait été ému.

Je descendis jusqu’à la porte de sa chambre. Elle était contre moi, telle une poupée de chiffon lovée dans mes bras, et ne m’opposait toujours pas la moindre résistance. De la chaleur se dégageait de sa chambre. J’entrai.

Autrefois vraisemblablement salle de classe, ou même dortoir, la pièce, située à l’angle du bâtiment, était très vaste, avec de très hautes fenêtres de part et d’autre d’où jaillissait la lumière de la rue.

Les voitures qui passaient l’illuminaient.

J’aperçus son lit contre le mur du fond, un vieux lit en fer, très simple, jadis un lit de couvent, sans doute, très étroit, dont subsistait le grand châssis rectangulaire destiné à la moustiquaire, bien qu’aucune n’y fût plus accrochée. La peinture blanche des minces barreaux s’écaillait. Partout des bibliothèques avec des piles de livres, ouverts avec des signets, appuyés contre des lutrins de fortune, et ses propres reliques, par centaines peut-être, des tableaux, des statues et probablement des objets offerts par Roger avant qu’elle n’apprenne la vérité. Des mots étaient inscrits à l’encre noire en écriture cursive sur les dormants de fenêtres et de portes.

Je la portai jusqu’au lit sur lequel je l’allongeai. Elle s’enfonça avec reconnaissance, sembla-t-il, dans le matelas et l’oreiller. Ici, tout était propre et frais dans le style contemporain, et si souvent nettoyé de fond en comble que tout paraissait presque neuf.

Je lui tendis mon mouchoir de soie. Elle le prit, puis le regarda et dit : « Mais il est trop joli. »

— Non, utilisez-le, je vous en prie. Ce n’est rien. J’en ai des centaines.

Elle m’observa sans rien dire, puis commença à s’essuyer le visage. Son cœur battait plus lentement, mais ses émotions avaient rendu plus forte l’odeur qui émanait d’elle.

Ses règles. Elles étaient soigneusement recueillies par une compresse d’ouate blanche placée entre ses jambes. Je m’autorisai cette pensée, parce que ses menstrues étaient abondantes et leur senteur excessivement délicieuse. L’idée de lécher ce sang commença à me torturer. Il ne s’agissait pas de sang à l’état pur, comprenez-vous, mais il en était le véhicule, et j’éprouvais l’habituelle tentation des vampires dans ces cas-là, le lécher d’entre ses lèvres, une façon de boire sans lui faire de mal.

Excepté qu’à ce moment, c’était une idée totalement indigne et irréalisable.

Un long silence se fit.

J’étais sur une simple chaise de bois. Je savais qu’elle était à côté de moi, assise en tailleur, qu’elle avait trouvé une boîte de mouchoirs en papier, source d’un immense réconfort, et qu’elle se mouchait le nez et se tamponnait les yeux. Le mien, en soie, était toujours au creux de sa main.

Extrêmement excitée par ma présence mais toujours dépourvue de toute crainte, elle était trop accablée de chagrin pour savourer la confirmation de ces mille croyances, alors qu’elle se trouvait en présence d’un non-humain dont le cœur battait et dont l’apparence et le discours étaient ceux d’un humain. Pour l’instant, elle ne pouvait en mesurer la portée. Elle n’en revenait pas. Son absence de frayeur tenait de la bravoure. Ce n’était pas de la bêtise. Mais elle était à un tel point au-dessus de toute peur que jamais les couards n’auraient pu le concevoir.

Les imbéciles la jugeaient sans doute fataliste. Pourtant, elle ne l’était pas. Elle possédait une aptitude à aller au-delà des faits, et par là même à bannir toute panique. Certains humains doivent connaître ce sentiment juste avant de mourir, lorsque la partie est terminée, et que tout le monde s’est dit adieu. C’était dans cette optique fatale, tragique et infaillible qu’elle considérait toute chose.

Je gardais les yeux rivés au sol. Non, ne tombe pas amoureux d’elle.

Les lattes jaunies du parquet en pin avaient été poncées, vernies et cirées. La couleur de l’ambre. C’était très beau. Un jour peut-être, le palais entier ressemblerait à cela. La Belle et la Bête. Et, à dire vrai, dans le rôle de la Bête, je suis vraiment épatant.

Je me détestais de prendre autant de plaisir dans un moment aussi triste, moi qui avais envie de danser avec elle à travers les corridors. Je pensai à Roger, ce qui eut tôt fait de me ramener à la réalité, et à l’Homme Ordinaire, ce monstre qui m’attendait !

Je me tournai alors vers son bureau, sur lequel étaient posés deux téléphones, un ordinateur, d’autres piles de livres, et, dans un coin, un poste de télévision, qui, apparemment, servait uniquement à son travail, l’écran ne devant guère mesurer plus de douze à treize centimètres de large, bien qu’il fût relié à un long rouleau de câble noir, lequel devait être connecté au monde extérieur.

Il y avait encore quantité d’appareils électroniques qui clignotaient çà et là. La pièce n’avait rien d’une cellule de religieuse. Les mots, griffonnés sur les dormants peints en blanc des portes et des fenêtres, formaient en fait des phrases, par exemple, « Le mystère va à l’encontre de la théologie », ou « Étrange agitation », et, surtout, « Dans l’obscurité, j’écoute ».

Oui, en effet, le mystère allait à l’encontre de la théologie ; c’est ce que Roger avait essayé d’expliquer, et ce qu’elle n’avait malgré tout pas réussi à comprendre, parce que le mystique et le théologique se confondaient dans sa pensée, et que cela ne fonctionnait pas avec l’énergie ou la magie nécessaires. Il n’avait cessé de dire qu’elle était une théologienne. Et, naturellement, il considérait que ses reliques étaient mystérieuses. Ce qu’elles étaient.

Un lointain souvenir d’enfance surgit à nouveau dans ma mémoire, lorsque, devant le crucifix de l’église de notre village d’Auvergne, j’avais été frappé de terreur à la vue des traces de sang peintes qui dégoulinaient des ongles. À l’époque, je devais être très petit. À l’âge de quinze ans, derrière cette même église, je couchais avec les filles du coin – ce qui, en ce temps-là, tenait du prodige ; il faut dire que le fils du châtelain était censé être le parfait coq du village. C’est ce que chacun attendait. Quant à mes frères, ce ramassis de conservateurs, ils avaient plus ou moins failli à la mythologie locale en se comportant toujours en jeunes gens comme il faut. C’est un miracle que les moissons n’aient pas souffert de leur misérable vertu. Je souris. Avec moi, cela avait fait un juste milieu. Mais la fois où j’avais observé ce crucifix, je devais avoir tout au plus six ou sept ans. Et j’avais dit : « Quelle horrible façon de mourir ! » Cela m’avait échappé, et ma mère avait alors éclaté de rire. Mon père, lui, en avait éprouvé une humiliation terrible.

Le passage des voitures sur Napoléon Avenue produisait un bruit diffus, prévisible et réconfortant.

Enfin, réconfortant pour moi.

J’entendis Dora soupirer. Je sentis bientôt sa main sur mon bras, délicate et ferme l’espace d’une seconde, tandis que ses doigts s’enfonçaient dans l’épaisseur de mes vêtements pour tenter de palper la texture de ma peau en dessous.

Ses doigts effleurèrent mon visage.

Pour une raison ou pour une autre, lorsque les mortels veulent s’assurer que nous sommes réels, ils replient leurs phalanges vers l’intérieur de leur main et promènent leurs articulations sur notre visage. Est-ce là une manière de toucher autrui en se protégeant soi-même de tout contact ? Je suppose que la paume de la main et la pulpe des doigts sont des parties trop intimes.

Je ne bougeai pas. Je la laissai faire, comme si elle était aveugle et qu’il s’agissait de simple politesse. Puis ses doigts remontèrent jusqu’à mes cheveux. Je savais qu’il y avait bien assez de lumière pour qu’ils paraissent flamboyants et beaux, comme je comptais bien qu’ils fussent, moi le dandy vaniteux et impudent, moi l’être égoïste, confus et momentanément désorienté que j’étais.

Elle refit le signe de croix. Pourtant, à aucun moment, elle n’avait eu peur. Elle cherchait simplement confirmation de quelque chose, supposai-je. Encore que ce fût bien là toute la question, en y réfléchissant. Elle se mit à prier silencieusement.

— Moi aussi, je peux le faire, dis-je. (Je m’exécutai.) Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.

Je réitérai mon exploit, en latin cette fois.

Elle me regarda, bouche bée, puis elle lâcha un tout petit rire.

Je souris. Ce lit et cette chaise, où nous étions assis si près l’un de l’autre, se trouvaient dans un angle de la pièce. Il y avait une fenêtre au-dessus de son épaule, et une autre derrière moi. Des fenêtres, encore des fenêtres, c’était un palais de fenêtres. Le bois sombre du plafond devait être à environ quatre mètres cinquante au-dessus de nos têtes. J’en adorais les proportions. C’était typiquement européen, on ne pouvait mieux dire, et paraissait d’époque. Il n’avait pas été sacrifié aux normes contemporaines.

— Vous savez, dis-je, la première fois que je suis entré dans Notre-Dame, après avoir été fait ce que je suis, un vampire, d’ailleurs, à ce propos, ce n’est pas moi qui l’ai choisi, j’étais tout à fait humain et plus jeune que vous ne l’êtes aujourd’hui, toute la chose s’est accomplie contre ma volonté, d’un bout à l’autre, je ne me souviens pas particulièrement d’avoir prié lorsque c’est arrivé, mais j’ai lutté, ça je m’en souviens parfaitement et, du reste, je l’ai consigné par écrit. Mais… comme je le disais, la première fois que je suis entré dans Notre-Dame, je me suis dit, voilà, pourquoi Dieu ne me foudroie-t-il pas ?

— Vous devez sûrement avoir votre place dans l’ordre des choses.

— Vous croyez ? Vous le pensez vraiment ?

— Oui. Je n’ai jamais envisagé de me trouver face à face avec quelqu’un comme vous, mais c’est une éventualité qui ne m’a jamais semblé impossible ni même improbable. Durant toutes ces années, j’ai attendu un signe, une confirmation. J’aurais pu vivre toute ma vie sans cela, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’il allait arriver, ce signe.

Elle avait une petite voix, typiquement féminine ; disons que son timbre était indubitablement féminin, mais elle s’exprimait à présent avec une assurance incroyable, si bien que ses paroles étaient pleines d’autorité, presque comme celles d’un homme.

— Et vous voilà, vous venez m’annoncer que vous avez tué mon père. Et vous dites qu’il vous a parlé. Non, je ne suis pas du genre à écarter ces choses-là d’un geste de la main. Il y a une séduction dans tout ce que vous racontez, une qualité de style. Vous savez, quand j’étais petite, la toute première raison pour laquelle je croyais à la sainte Bible, c’était que justement elle avait cette qualité-là ! J’ai déjà capté d’autres phénomènes. Je vais vous dire un secret. Une fois, j’ai souhaité la mort de ma mère, et savez-vous que ce jour-là, dans l’heure qui a suivi, elle a disparu définitivement de ma vie ? Je pourrais vous raconter d’autres choses encore. Ce que vous devez comprendre, c’est que j’ai le désir d’apprendre de vous. Ainsi, vous êtes entré dans la cathédrale Notre-Dame et Dieu ne vous a pas foudroyé.

— Je vais vous faire part d’une chose que je trouve amusante. C’était il y a deux cents ans. À Paris, avant la Révolution. À l’époque, des vampires vivaient dans la capitale, aux Innocents, le grand cimetière ; il a disparu depuis longtemps, mais eux étaient là, dans les catacombes, sous les tombes, et ils redoutaient de pénétrer dans Notre-Dame. Lorsqu’ils m’ont vu le faire, eux aussi ont cru que Dieu allait me foudroyer.

Elle me regardait, relativement placide.

— Je me suis chargé d’anéantir leur foi, repris-je. Leur croyance en Dieu et au Diable. Et c’étaient des vampires. Des créatures qui, comme moi, ne pouvaient quitter le monde des vivants, mi-hommes, mi-démons, stupides, maladroits, persuadés que Dieu allait les terrasser.

— Et avant vous, ils avaient réellement eu un dogme ?

— Oui, une vraie religion, absolument. Ils se prenaient pour les serviteurs du Diable. Ils pensaient que c’était une distinction. Ils vivaient comme des vampires, mais leur existence était misérable et volontairement pénitentielle. J’étais, pourriez-vous dire, un prince. Je me pavanais dans tout Paris vêtu d’une cape rouge bordée de loup. Mais cette cape, je l’avais déjà quand j’étais mortel. Cela vous impressionne, que les vampires puissent être croyants ? J’ai tout bouleversé dans leur vie. Je ne pense pas qu’ils m’aient jamais pardonné, du moins, les rares qui ont survécu. D’ailleurs, nous ne sommes guère nombreux.

— Arrêtez-vous une seconde, dit-elle. Je veux bien vous écouter, mais d’abord, je dois vous poser une question.

— Oui ?

— Mon père, comment est-ce arrivé, est-ce que cela a été rapide et…

— Absolument indolore, je vous l’assure, répondis-je en la regardant. Il me l’a dit lui-même. Sans douleur.

Elle ressemblait un peu à une chouette avec son visage si blanc et ses grands yeux sombres et, curieusement, c’est elle qui paraissait redoutable. Car, de par son expression et la force qui émanaient d’elle, elle aurait presque pu faire peur à un humain.

— C’est au cours d’un évanouissement que votre père est mort, dis-je. Dans un état extatique, probablement, et empli d’images diverses, puis il a perdu conscience. Son esprit avait quitté son corps avant que son cœur n’ait cessé de battre. Mais je ne lui ai pas infligé la moindre souffrance physique ; une fois que tout le sang est bu, une fois que… Non, il n’a pas souffert.

Je me tournai et la regardai plus directement. Elle avait replié ses jambes sous elle, dévoilant ses genoux pâles sous l’ourlet de sa robe.

— Ensuite, j’ai discuté deux heures avec Roger. Deux heures. Il est revenu pour une seule raison, s’assurer que j’allais veiller sur vous. Et, que ses ennemis n’iraient pas s’en prendre à vous, ni l’État, ni tous ces gens avec lesquels il est, ou était, en relation. Et aussi que… que son décès ne… ne vous affligerait pas plus qu’il ne le devrait.

— Pourquoi Dieu ferait-il une chose pareille ?

— Que vient faire Dieu dans cette histoire ? Écoutez, chère petite, je ne connais pas grand-chose à Dieu. Je vous l’ai expliqué. Je suis entré dans Notre-Dame et il ne s’est rien passé, et rien ne s’est jamais…

Voyons, c’était un mensonge, n’est-ce pas ? Et Lui ? Lui qui était venu ici sous l’apparence de l’Homme Ordinaire, laissant cette porte claquer, lui, ce salopard arrogant, comment osait-il ?

— Comment pareille chose peut-elle être le dessein de Dieu ? s’interrogea-t-elle.

— Vous êtes tout à fait sérieuse, non ? Écoutez, je pourrais vous raconter des tas d’histoires. Celle des vampires parisiens qui croyaient au Diable n’est qu’un commencement ! Vous voyez, il y a… il y a… (Je m’interrompis.)

— Que se passe-t-il ?

Ce bruit. Ces pas lents, mesurés ! Je n’avais pas sitôt pensé à lui, en l’injuriant dans un accès de colère, que les pas avaient repris.

— Je… J’étais sur le point de dire… (Je luttais pour l’ignorer.)

Je les entendais qui se rapprochaient. Ils étaient vagues, mais c’était, à n’en pas douter, ceux de la créature ailée qui se rappelait à moi. Un pas pesant après l’autre, ils semblaient résonner dans une pièce immense dans laquelle j’avais une vie propre, indépendante de ma présence dans cette chambre.

— Dora, il faut que je m’en aille.

— Mais qu’y a-t-il ?

Les pas se faisaient de plus en plus proches. « Vous osez venir pendant que je suis avec elle ! » m’écriai-je. Je m’étais relevé.

— Mais que se passe-t-il ? cria-t-elle.

Elle était à genoux sur le lit. Je traversai la pièce à reculons. J’atteignis la porte. Alors les pas s’éloignèrent.

— Allez vous faire foutre ! dis-je dans un murmure.

— Expliquez-moi ce qu’il y a, demanda-t-elle. Est-ce que vous reviendrez ? Vous ne me quittez pas pour toujours ?

— Non, absolument pas. Je suis là pour vous aider. Écoutez, Dora, si vous avez besoin de moi, appelez-moi. (Je posai mon doigt sur ma tempe.) Appelez, appelez, appelez. Comme pour une prière, comprenez-vous. Cela ne sera pas de l’idolâtrie, Dora, je ne suis pas un dieu maléfique. Faites-le. Je dois partir.

— Comment vous appelez-vous ?

Les pas revinrent, distants mais parfaitement audibles, sans que je puisse en situer la provenance dans l’immense bâtiment, sachant seulement qu’ils me poursuivaient.

— Lestat. Je lui détachai chaque syllabes – LES-TAT – insistant sur l’accent tonique de la deuxième. Écoutez. Personne n’est au courant au sujet de votre père. Ils ne le sauront pas tout de suite. J’ai fait tout ce qu’il m’avait demandé. C’est moi qui ai ses reliques.

— Les livres de Wynken ?

— Oui, et tout ce qu’il considérait comme sacré… Une fortune pour vous, tout ce qu’il possédait et désirait vous transmettre. Il faut que j’y aille.

Les bruits de pas ne s’étaient-ils pas atténués ? Je n’en étais pas sûr. Mais je ne pouvais pas prendre le risque de rester.

— Je reviendrai dès que possible. Vous croyez en Dieu ? Cramponnez-vous à lui. Dora, parce qu’il se pourrait bien que vous ayez raison à son sujet, parfaitement raison !

Je sortis à la vitesse de l’éclair, montai l’escalier, passai par la fenêtre cassée du grenier et me retrouvai par-dessus les toits, me déplaçant suffisamment vite pour ne plus entendre de pas, tandis que la ville en dessous était devenue un tourbillon de lumières enjôleuses.

Memnoch le demon
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